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La voie à suivre

L'année dernière, le Bureau du défenseur fédéral du logement s'est efforcé de recueillir des recommandations fondées sur des données probantes à l'intention du ministre afin d'améliorer la Stratégie nationale sur le logement. C'est le début du travail qui nous attend pour résoudre la crise du logement et de l'itinérance au Canada. C'est une tâche ardue. Mais nous devons être à la hauteur du défi.

La mise en œuvre du droit au logement au Canada ne pourra se faire sans chacun et chacune de nous, dans un esprit de collaboration. Il faudra une action et des ressources soutenues de la part du gouvernement. Il faut un engagement et une coordination à tous les niveaux.

Notre tâche est de porter un regard critique sur les problèmes et sur les solutions. C'est notre tâche de faire pression pour que des changements soient apportés aux problèmes systémiques en matière de logement qui privent les personnes et les familles de leur droit au logement au Canada. Nous sommes disposés à définir les façons dont tous et toutes peuvent travailler ensemble et contribuer à des solutions à mesure que nous traçons la voie à suivre.

Recommandations au ministre

L'année dernière, nous avons profité de l'occasion pour faire le point sur le fonctionnement de la Stratégie nationale sur le logement et sur les points à améliorer. Ce travail était particulièrement pertinent étant donné que l'année 2022 marque le cinquième anniversaire de la publication de la Stratégie. De plus, l'une des fonctions et priorités de la défenseure fédérale du logement consiste à surveiller l'avancement de la Stratégie à l'égard de ses objectifs et échéances et à l'égard de sa contribution à l'engagement du Canada de réaliser progressivement le droit à un logement adéquat.

En mars 2022, nous avons transmis au ministre dix fiches d'information produites grâce aux projets de recherche menés avec des experts du domaine de l'itinérance et du droit au logement. Ces fiches comprenaient des recommandations sur la manière de renforcer et d'améliorer la Stratégie. Avant de transmettre ces fiches d'information, des représentants de notre bureau et les chercheurs ont présenté à tous les ministères fédéraux et organismes centraux concernés les détails des projets de recherche et les recommandations formulées, ces dernières visant à ce que les engagements du Canada en matière de droit au logement soient intégrés de manière cohérente dans l'ensemble des lois, règlements, politiques et programmes.

La Stratégie est un pas en avant qui amène le gouvernement fédéral à réinvestir dans le logement en partenariat avec les provinces, les territoires et les municipalités du pays. À l'heure actuelle, elle est dotée d'un budget de 75,3 milliards de dollars (36,7 milliards en dépenses fédérales, 31,2 milliards en prêts et 7,4 milliards en financement par contributions équivalentes versées par les provinces et territoires) pour « construire des logements abordables et rénover les logements abordables existants » et mettre fin à l'itinérance chronique. La Stratégie vise à rassembler les secteurs public, privé et à but non lucratif pour qu'ils se réengagent dans le domaine du logement abordable. L'objectif de la Stratégie est de garantir que chaque personne au Canada, surtout les plus vulnérables, ait accès à un logement qui répond à ses besoins et qui soit abordable.

Il est toutefois temps de repasser en revue la Stratégie et de recentrer les efforts visant à satisfaire les besoins des groupes défavorisés et des personnes en situation d'itinérance. La Loi sur la stratégie nationale sur le logement et ses engagements explicites en faveur du droit à un logement adéquat ont été adoptés en 2019, soit deux ans après la mise en place de la Stratégie en 2017. Il est donc urgent de réévaluer la Stratégie pour savoir si les résultats souhaités, les programmes et les cadres de mesure sont cohérents avec le droit à un logement adéquat et avec un cadre fondé sur les droits de la personne. De plus, la Stratégie n'a pas été révisée depuis sa création en 2017.

Les recommandations suivantes sont les principales conclusions tirées des projets de recherche menés avec des experts, des fiches d'information transmises au ministre et de l'analyse des points les plus importants à améliorer dans la Stratégie nationale sur le logement. Elles constituent une voie à suivre pour aligner la Stratégie sur la vision qu'a la Loi sur les droits de la personne et sur une approche fondée sur le droit à un logement adéquat.

  1. Il faut créer une approche pangouvernementale qui permette de réaliser efficacement les objectifs de la Stratégie nationale sur le logement et de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement. Pour atteindre les objectifs de la Stratégie et de la Loi, il faudra élaborer des mécanismes de coordination interministérielle et une orientation claire à l'intention des ministères et organismes fédéraux sur la nécessité d'appliquer la Loi de manière cohérente pour faire progresser le droit au logement. Pour répondre aux recommandations de la défenseure et des commissions d'examen, le gouvernement fédéral devra également mettre en place des mécanismes de responsabilité clairs et transparents. En plus des programmes de soutien au logement et de lutte contre l'itinérance, une approche pangouvernementale nécessitera une coordination avec d'autres programmes d'intérêt public – comme dans les transports, la santé publique, la santé mentale, la toxicomanie, le soutien au revenu et à la fiscalité – et avec des programmes destinés aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux jeunes, aux femmes, aux immigrants et à d'autres groupes, et ces programmes devront fournir des fonds. Une telle approche nécessitera une action coordonnée sur les priorités clés qui réduise les obstacles pour les groupes prioritaires. Ces priorités sont notamment la réconciliation avec les peuples autochtones, l'éradication du racisme systémique et le réflexe de concevoir les programmes dans l'optique de l'Analyse comparative entre les sexes plus.
  2. Il faut une meilleure distribution des fonds de la Stratégie nationale sur le logement afin de répondre aux besoins des groupes défavorisés. L'engagement du gouvernement fédéral en faveur de la réalisation progressive du droit fondamental au logement exige de donner la priorité aux personnes ayant les plus grands besoins. Des travaux de recherche que nous avons commandés, et des études menées par des tiers, dont le Conseil national du logement, ont montré que nombre de programmes clés de la Stratégie nationale sur le logement ne répondent pas aux besoins des groupes les plus défavorisés du pays. Le gouvernement fédéral devrait mobiliser ses homologues provinciaux et territoriaux en vue d'examiner et de réorienter les programmes de la Stratégie qui visent les personnes ayant les besoins les plus criants en matière de logement et les personnes déjà en situation d'itinérance ou à risque de s'y retrouver. Les gouvernements devraient donc discuter du financement prévu par les accords bilatéraux, comme l'Initiative Financement de la construction de logements locatifs, le Fonds national de co investissement pour le logement et l'Allocation canadienne pour le logement. De telles réformes de la Stratégie devraient comprendre :
    1. des cadres de mesure fondés sur les droits de la personne qui prévoient des objectifs et des indicateurs clairs;
    2. des processus d'approbation simplifiés qui rendent les programmes plus accessibles aux organismes à but non lucratif et aux projets ciblant les groupes prioritaires;
    3. l'intégration des ayants droit dans la conception, la surveillance et l'évaluation des programmes de la Stratégie.
  3. Le gouvernement fédéral doit s'attaquer à l'héritage du colonialisme et à l'inégalité systémique en matière de logement que les Autochtones subissent et reconnaître le droit des peuples autochtones à créer leurs propres stratégies en matière de logement. Cette mesure est essentielle pour que le Canada puisse respecter ses obligations en vertu de la législation canadienne et du droit international en matière de droits de la personne, en particulier la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L'élimination des problèmes de logement inadéquat et la lutte contre l'itinérance dans les populations autochtones doivent être une priorité pour le gouvernement fédéral, assorties d'un financement suffisant. Par ailleurs, la prochaine version de la Stratégie nationale sur le logement doit être recadrée de façon à s'attaquer aux facteurs systémiques de l'itinérance, en plus de prévoir une approche qui met l'accent sur la prévention de l'itinérance et qui fournit un logement adéquat aux Autochtones, quel que soit leur lieu de résidence.
  4. La Stratégie nationale sur le logement doit cibler ses programmes de manière à empêcher la financiarisation des logements à but locatif et s'assurer que ses programmes ne contribuent pas à la financiarisation du logement. Le logement est un bien social d'une importance capitale et un déterminant social clé de la santé. Les défenseurs du droit au logement soutiennent que les États devraient donner la priorité à la fonction sociale du logement, ce qui veut dire lui donner plus de valeur en tant que foyer qu'en tant que produit. La Stratégie nationale sur le logement devrait financer l'acquisition d'immeubles locatifs par des organismes à but non lucratif, prévoir des mesures qui empêchent l'érosion des logements naturellement abordables et protéger les locataires contre les effets de la financiarisation. Les gouvernements devraient, entre autres, protéger le marché du logement contre les pratiques extractives des grandes sociétés d'investissement et des acteurs financiers tels que les fiducies de placement immobilier. Il faut également un leadership national pour mettre en place de bons mécanismes de contrôle des loyers, dont le contrôle des logements vacants, pour protéger la sécurité d'occupation et pour prévenir les expulsions et les évictions. Le Bureau du défenseur fédéral du logement mène actuellement des travaux de recherche visant à formuler des recommandations sur la financiarisation qui ne concernent pas la Stratégie, par exemple dans les domaines de la fiscalité et de la réglementation des institutions financières.
  5. Le gouvernement fédéral doit veiller à ce que l'approche destinée à mesurer les progrès de la Stratégie nationale sur le logement prévoit des objectifs et des indicateurs fondés sur les droits de la personne et adopte une norme pour tous les ministères et organismes gouvernementaux. La mesure des progrès de la Stratégie doit être réévaluée pour mettre en lumière les indicateurs fondés sur les droits. Cela permettra de mesurer les effets des investissements sur les populations prioritaires qui comptent un nombre disproportionné de personnes vivant en situation d'itinérance et ayant des besoins criants en matière de logement. En plus de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), les ministères et organismes fédéraux ont une responsabilité dans l'atteinte les objectifs de la Stratégie. Ils devraient participer à la surveillance des progrès de la Stratégie et suivre une norme en ce qui concerne la surveillance de la réalisation progressive du droit fondamental à un logement adéquat. Pour que la défenseure puisse remplir efficacement son mandat de surveillance, les ministères fédéraux devraient être en mesure de fournir au Bureau du défenseur fédéral du logement des renseignements pertinents et opportuns permettant d'évaluer les progrès du Canada vers la réalisation complète du droit fondamental à un logement adéquat.
  6. Le gouvernement fédéral doit tirer les leçons de la lutte contre la pandémie et veiller à ce que les plans de relance tiennent compte de la vulnérabilité des nombreuses personnes qui ont un logement inadéquat ou qui sont en situation d'itinérance. La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions disproportionnées sur les personnes et les familles à faible revenu et marginalisées qui risquaient le plus d'être expulsées et de se retrouver en situation d'itinérance en raison d'arriérés de loyer. Les programmes de soutien au revenu, comme la Prestation canadienne d'urgence et les moratoires sur les expulsions, ont joué un rôle essentiel durant la pandémie. Les organisations et les collectivités se sont mobilisées de manière innovante pour fournir un logement à des personnes en situation d'itinérance. La lutte contre la pandémie a montré qu'il est possible de mobiliser des ressources quand une urgence se présente. Nous sommes encore en situation d'urgence puisque la crise du logement se poursuit dans notre pays. Alors que le gouvernement reprend le dessus, il faut veiller à tirer les leçons de ces expériences et s'assurer que la relance post-pandémie ne crée pas une nouvelle vague d'itinérance et de précarité en matière de logement.