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Priorité donnée à la crise du logement et de l'itinérance

En 2021-2022, le Bureau du défenseur fédéral du logement a cerné des problèmes systémiques en matière de logement qui évoluent et qui préoccupent la population canadienne, soit la financiarisation, les campements de personnes itinérantes et les expulsions et évictions.

Ces problèmes ont été aggravés par la pandémie de COVID-19. Ils sont les symptômes de problèmes de longue date liés au système de logement. Ils ont des conséquences directes sur les personnes en situation de logement inadéquat et d'itinérance. Ils ont des conséquences inquiétantes qui enfreignent le droit fondamental au logement au Canada.

L'année dernière, nous avons soutenu des travaux de recherche pour mieux comprendre les facteurs déterminants de ces problèmes et les personnes qui les subissent, ainsi que pour créer un ensemble de données servant à formuler des recommandations pour régler ces problèmes. Au cours de ces travaux de recherche, nous avons collaboré étroitement avec des universitaires, des personnes ayant une expérience vécue et des organisations partenaires pour nous documenter.

Alors que la population canadienne continue de ressentir les effets de la crise du logement et de l'itinérance, ces activités nous aideront à faire la lumière sur ces problèmes systémiques et à exiger que des mesures soient prises pour les régler.

Enjeux capitaux : la financiarisation en tant que menace à l'abordabilité

On emploie le terme financiarisation pour parler du fait que le logement est de plus en plus traité comme une marchandise – un véhicule de richesse et d'investissement – plutôt que comme un droit fondamental et un bien social pour les personnes et les communautés.

En 2021-2022, nous avons piloté un projet de recherche réunissant cinq chercheurs de différents horizons pour examiner le rôle croissant des sociétés de financement par capitaux propres et des sociétés privées d'investissement sur le marché immobilier résidentiel et les soins de longue durée au Canada.

Au Canada comme dans le monde entier, des sociétés d'investissement achètent des immeubles locatifs, puis les rénovent et augmentent les loyers, ce qui oblige les locataires à faible revenu à quitter leur logement. Étant donné que le modèle économique associé à la financiarisation exige des profits à haut rendement à court terme, on se dépêche à trouver et à acheter des logements que l'on juge « sous-évalués » – il s'agit souvent de logements abordables qui sont par conséquent situés là où vivent les communautés les plus défavorisées et les personnes ayant les plus faibles revenus. La financiarisation touche également d'autres secteurs du système du logement, comme les maisons individuelles, les villages de retraite et les foyers de soins de longue durée.

Cette tendance s'est aggravée pendant la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19. Pour les grands investisseurs, l'immobilier est devenu une opportunité de profits garantis dans un marché instable, ce qui fait grimper les prix et menace l'abordabilité des logements pour les personnes ayant les besoins les plus criants.

La financiarisation est un enjeu de droits de la personne. Elle a des conséquences importantes sur l'abordabilité, la sécurité d'occupation (synonyme de maintien dans les lieux) et les conditions d'habitabilité des logements locatifs. Elle augmente le risque de maladie et de décès chez les personnes âgées et les personnes handicapées dans les établissements de soins de longue durée.

Notre projet de recherche visait à examiner les facteurs déterminants de la financiarisation et ses répercussions, entre autres sur les groupes prioritaires ayant un faible revenu qui sont énumérés dans la Stratégie nationale sur le logement.

Le projet prévoyait la rédaction de cinq rapports de recherche qui abordent diverses dimensions de la financiarisation, à savoir :

Les rapports de recherche mettent en évidence que la financiarisation des logements locatifs et des foyers de soins de longue durée construits à cet effet a eu des répercussions importantes sur les locataires, les personnes âgées, les travailleurs et les communautés. Ils indiquent également les mesures que tous les ordres de gouvernement peuvent prendre pour freiner la financiarisation et atténuer ses effets.

La prochaine étape consistera à partager les résultats avec les ayants droit, les gouvernements et les autres parties intéressées. Cette recherche et cette mobilisation aideront la défenseure fédérale du logement à formuler des recommandations législatives et stratégiques qui permettraient au gouvernement de mettre en œuvre des protections améliorées contre la financiarisation du logement et ses effets sur les personnes, les groupes défavorisés et les communautés. Les mesures de lutte contre la financiarisation doivent mettre les droits de la personne au premier plan.

Une crise des droits de la personne pour les personnes itinérantes vivant dans des campements

Les campements ne sont pas un phénomène nouveau au Canada. Les personnes en situation d'itinérance établissent parfois des constructions précaires – que nous appelons « campements » dans le présent document – pour répondre à leurs besoins en matière de logement et de sécurité tout en exerçant leur autonomie et leur autodétermination. Des données nationales montrent que les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis sont fortement surreprésentés parmi les personnes vivant à l'extérieur, dans des campements, ou dans des habitations de fortune.

En 2021-2022, nous avons entrepris un projet de recherche pour examiner de près les aspects relatifs aux droits de la personne en ce qui concerne les campements de personnes itinérantes au Canada. Nous avons collaboré avec un réseau national de chercheurs et chercheuses s'intéressant aux campements, lequel était composé de personnes connaissant bien le sujet en raison de leurs expériences vécues, des universitaires, des défenseurs d'intérêts et des activistes de toutes les régions du Canada.

Pendant la pandémie de COVID-19, le nombre de places dans les refuges pour les personnes itinérantes a diminué, les installations permettant des rassemblements à l'intérieur sont devenues de moins en moins sécuritaires et des gens ont perdu leurs sources de revenus. Cette situation a entraîné une augmentation du nombre de campements dans l'ensemble du pays. De nombreuses personnes n'ont eu d'autre choix que de vivre dans des tentes ou des abris de fortune pour survivre.

Des personnes ont subi des pertes ou des dommages ou encore sont décédées en raison du froid, d'un incendie, d'une surdose et d'autres menaces pour la vie et la sécurité. Les personnes résidant dans ces campements sont également victimes de harcèlement et de violence de la part d'intervenants gouvernementaux et non gouvernementaux. Ces situations constituent des violations des droits de la personne fondamentaux, dont le droit au logement.

Le but de notre projet de recherche est de mettre en évidence les aspects relatifs aux droits de la personne et au droit au logement dans les campements. Le projet comprend une revue de la littérature, un survol de portée générale des règlements municipaux touchant les campements, une analyse de la couverture médiatique du problème et des études de cas pour l'ensemble du Canada.

Les travaux de recherche sont toujours en cours, mais ils ont déjà permis de cerner bon nombre de domaines qui nécessitent des améliorations de la part du Canada pour respecter les droits des personnes vivant dans les campements. Avant tout, les personnes qui vivent dans les campements et les personnes qui défendent leurs intérêts ont réclamé un nombre convenable de logements sûrs, adéquats et sécuritaires.

Un aspect crucial relatif aux droits de la personne dans les campements est la fourniture des services essentiels. Il est entendu que le droit au logement vient appuyer d'autres droits fondamentaux, comme les droits à la vie et à la santé. Souvent, les personnes vivant dans des campements n'ont pas accès à de l'eau potable, à des installations sanitaires, à des abris chauffés ou climatisés ni à des mesures de sécurité et elles subissent de graves menaces à leur bien-être mental et physique justement parce qu'on ne leur fournit pas les services de base. Si certaines villes fournissent des services de base, comme des toilettes et des systèmes de gestion des déchets, la recherche donne à penser que l'accès aux services de base demeure limité, imprévisible ou inexistant dans de nombreux campements.

Les principales violations des droits fondamentaux relevées par le projet de recherche sont les mesures de maintien de l'ordre et d'application de la loi visant les personnes vivant dans les campements. De nombreuses administrations municipales du pays ont systématiquement choisi de distribuer des contraventions, de délivrer des avis d'expulsion et d'enlever ou de détruire les tentes et le matériel, plutôt que de faire respecter les droits de ces personnes en matière de sûreté, de sécurité et de dignité humaine. Dans de nombreuses villes canadiennes, les services de police ont expulsé les personnes vivant dans des campements en utilisant une force disproportionnée par rapport aux dommages allégués causés aux biens publics. L'utilisation de cette force a causé des préjudices, des douleurs et des blessures à ces personnes, à des défenseurs de leurs intérêts et à des membres du public.

La recherche a également montré que les personnes vivant dans des campements étaient traitées d'une manière qui équivalait à une expulsion dangereuse et à un déplacement forcé. En fait, les expulsions des campements compromettent souvent la sécurité, puisque ces personnes se trouvaient souvent dans des situations encore plus précaires et dangereuses par la suite. Faute d'obtenir des services de base, de nombreuses personnes se sont organisées par elles-mêmes pour que leurs campements répondent à leurs besoins essentiels et comblent les lacunes en matière de services, par exemple en installant des tentes centralisées pour la distribution d'eau, de nourriture ou de fournitures de réduction des méfaits. Les expulsions des campements sapent souvent ces efforts et entraînent la perte ou la destruction de ces ressources et des systèmes d'entraide mutuelle établis par les personnes intéressées pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Dans de nombreux cas, les personnes vivant dans des campements sont invitées (ou forcées) à se rendre dans des refuges pour personnes itinérantes, lesquels peuvent être sont inadaptés ou inaccessibles pour certaines personnes en situation d'itinérance. Ce déplacement forcé porte également atteinte à la liberté de choix et à l'autodétermination.

Pour réaliser le droit au logement, il est essentiel que les personnes en situation d'itinérance participent concrètement à la conception et à la mise en œuvre des politiques, des programmes et des pratiques. Selon la recherche, les personnes vivant dans des campements sont souvent perçues dans les médias comme des citoyens de seconde zone et comme des nuisances pour la sécurité publique et dans l'espace public, et elles sont traitées comme telles par le grand public et les décideurs. En raison de ces perceptions, on a, en règle générale, négligé d'obtenir la participation concrète des personnes vivant dans des campements quand on a adopté des politiques et des pratiques qui les concernent. Bien souvent, on prend des mesures qui touchent les personnes vivant dans des résidents des campements sans qu'elles aient été consultées d'aucune façon, et on ne les incite pas à participer à la prise de décisions éclairées qui concernent la cohabitation ni à prendre des décisions directes qui concernent leur bien- être, leur occupation de lieux, leurs biens et leurs possessions. Les processus décisionnels sont rarement transparents ou clairement expliqués aux personnes vivant dans des campements avant qu'on prenne des mesures, et il existe peu de processus (voire aucun) permettant de contester les décisions, de proposer des solutions de rechange et d'exprimer les priorités et les besoins.

Tous les ordres de gouvernement doivent, ensemble, planifier et entreprendre des actions concrètes pour garantir le respect du droit au logement des personnes vivant dans des campements. Les administrations municipales ont été pratiquement les seules à réagir à l'apparition des campements, sans grande participation directe des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral. Les municipalités ont souvent la compétence principale en ce qui concerne les campements, mais elles manquent souvent des moyens et des pouvoirs nécessaires pour s'attaquer aux causes structurelles de l'itinérance et des campements, qui sont notamment l'inabordabilité des logements, la diminution du nombre de logements à louer et le manque de services et de soutien pour permettre à tout le monde d'avoir accès à un logement. Le gouvernement fédéral, en particulier, a le devoir de faire preuve de leadership dans ce domaine et de veiller à ce que les municipalités aient les ressources nécessaires pour remplir leurs obligations en matière de droits de la personne.

De plus, les personnes vivant dans des campements doivent pouvoir participer concrètement aux décisions qui les concernent. En ce qui concerne les campements de personnes itinérantes, tous les ordres de gouvernement doivent adopter des approches fondées sur les droits en faisant participer ces personnes à la conception et à l'évaluation des logements et des services dont elles ont besoin. Les refuges ne sont pas la bonne solution à l'itinérance. En fin de compte, les gouvernements doivent faire en sorte qu'il y ait des logements permanents et adéquats pour les personnes vivant dans des campements et pour toutes les personnes en situation d'itinérance.

Alors que cette recherche touche à sa fin, nous planifions une deuxième phase du projet qui aura pour but d'amener les personnes vivant dans des campements, des défenseurs de leurs intérêts et des détenteurs d'obligation à trouver des solutions qui respectent les droits fondamentaux. À mesure que ce projet se poursuit, nous devrons nous faire le porte-voix des personnes vivant dans des campements et faire connaître leurs besoins, en plus de demander au gouvernement de rendre des comptes concernant ses obligations en matière des droits de la personne.

Verrouillés dehors : sécurité d'occupation, expulsions, évictions et arriérés de loyer

La sécurité d'occupation, aussi appelée « le droit au maintien dans les lieux », désigne le droit d'une personne de ne pas vivre dans la crainte d'une expulsion ou d'une éviction. Elle est un élément central du droit à un logement adéquat. L'absence de sécurité d'occupation a de graves conséquences sur la dignité, la santé, le bien être et le sentiment de sécurité d'une personne. Le fait de garantir légalement la sécurité d'occupation et la protection des locataires contre les expulsions forcées, les évictions et le harcèlement sont des mesures essentielles pour réaliser le droit à un logement adéquat. En vertu du droit international en matière de droits de la personne, tous les ordres de gouvernement doivent adopter des mesures appropriées pour garantir la sécurité d'occupation et empêcher les expulsions et les évictions.

Mené en 2021-2022, ce projet de recherche est une collaboration entre le Bureau du défenseur fédéral du logement, l'équipe des services juridiques de la Commission canadienne des droits de la personne et des juristes externes pour élaborer un processus de recherche et d'analyse juridique ouvert sur les expulsions, les évictions, les arriérés de loyer et la sécurité d'occupation. Le projet vise à déterminer dans quelle mesure la défenseure lancera des examens et formulera des recommandations sur ces enjeux.

L'expulsion forcée, ou éviction, est considérée comme une violation des droits de la personne. En d'autres termes, le droit en matière de droits de la personne exige que les expulsions forcées ou les évictions n'aient lieu qu'en dernier recours et seulement après une analyse complète des autres solutions. Si elles sont effectuées sans respecter les règles et sans tenir compte des droits fondamentaux, les expulsions et les évictions sont considérées comme une violation flagrante des droits de la personne et une violation du droit au logement. Les expulsions justifiées par des arriérés de loyer ne devraient pas avoir lieu sans que l'on ait d'abord analysé complètement tous les moyens de régler les arriérés. En outre, en vertu du droit en matière de droits de la personne, le déménagement dans un autre logement adéquat qui sera plus abordable doit être considéré comme une solution de rechange à l'expulsion, et l'expulsion ne doit pas aboutir à l'itinérance.

Les causes systémiques et structurelles des expulsions et des évictions sont bien établies. Le manque de logements abordables et adéquats, la financiarisation du logement, l'embourgeoisement, le racisme, le sexisme, le capacitisme et d'autres formes de discrimination entraînent des expulsions et des évictions et exposent les personnes les plus défavorisées à des violations de leurs droits de la personne.

Depuis des décennies, les locataires de toutes les régions du Canada subissent une crise d'expulsions, d'évictions et de logements inadéquats. L'instabilité du secteur du logement et le risque d'expulsion pour cause d'arriérés de loyer ont augmenté en raison de la pandémie de COVID-19. Ces problèmes ne pourront qu'empirer puisque les gouvernements fédéral et provinciaux ont réduit graduellement les mesures de soutien mises en place en réponse à la pandémie, y compris les moratoires sur les expulsions et les initiatives de sécurité du revenu comme la Prestation canadienne d'urgence, et que le coût de la vie augmente encore. Les gouvernements doivent collaborer pour éviter la crise des droits de la personne qui pourrait en découler.

Le projet a donné lieu à sept rapports de recherche qui présentent une analyse juridique et des recommandations sur divers enjeux liés aux expulsions et aux évictions, à savoir :

La recherche permet de conclure que le Canada a beaucoup de chemin à faire pour réaliser le droit fondamental du locataire à la sécurité d'occupation. Les lois régissant les expulsions et les droits des locataires ne sont pas uniformes au Canada, tout comme l'accès des locataires à la justice et à la représentation juridique lorsqu'ils risquent l'expulsion ou l'éviction. Les Autochtones, les communautés racisées, les personnes handicapées et les autres groupes défavorisés rencontrent des obstacles importants au respect de la sécurité d'occupation, tandis que les membres de ces groupes subissent des effets d'une gravité disproportionnée quand ils sont expulsés ou évincés. Alors que la pandémie continue d'affecter les revenus et que les frais de logement et le coût de la vie augmentent rapidement, de plus en plus de locataires risquent d'être expulsés pour avoir des arriérés de loyer.

Même si le droit régissant les relations entre propriétaires et locataires sont de compétence provinciale et territoriale, le droit en matière de droits de la personne établit clairement que la séparation des pouvoirs ne justifie pas les violations systémiques des droits de la personne. Les gouvernements doivent, ensemble, instaurer des lois et des programmes efficaces qui protègent la sécurité d'occupation et empêchent les expulsions et les évictions, surtout s'il s'agit de ménages défavorisés et si l'expulsion pousse à l'itinérance.

Les conclusions de la recherche ont été présentées lors d'un symposium réunissant des universitaires, des locataires, des défenseurs d'intérêts et des responsables des politiques. D'autres collaborations sur les conclusions de cette recherche aideront la défenseure fédérale du logement à élaborer des recommandations visant à améliorer les lois et les politiques pour empêcher les expulsions ou les évictions et pour faire respecter les droits des locataires.

Note : Cette recherche a contribué à la formulation des Recommandations au ministre figurant dans ce rapport. La liste des documents produits grâce à cette recherche collaborative se trouve à l'annexe A.